L'art et la vie en partage

Note : le texte qui suit est un collage libre de paroles ou d’écrits d’Armand Vaillancourt. Ces fragments sont de provenances diverses : entrevues radio, télé, articles de journaux, notes d’entretien avec des collaborateurs, etc. Vous trouverez à la fin du texte une légende numérique donnant la provenance de chacune des citations. Les titres des sections sont librement inspirés du contenu qu’ils délimitent.

 

Les premières traces de mon parcours

Mes premières préoccupations d’être humain, en tant que créateur, remontent loin en arrière jusqu’à ma prime jeunesse (1). Mon enfance a été très riche, et c’est là que je suis devenu si on peut dire poète ou sculpteur (2). On était très près de la nature, très près des animaux et évidemment très près de nous-mêmes aussi.  La nature a été pour moi un gage d'énergie et de poésie qui ne m'a jamais laissé (3).

Quand je suis rentré à Montréal, j’étais un petit fermier, quoi que j’avais beaucoup écouté Radio Collège, une émission extraordinaire de Radio-Canada où il était question de philosophie, d’engagement social, de littérature, d’arts visuels, etc. Je pensais naïvement que c’était l’harmonie entre les formations culturelles et j’ai vu que ce n’était pas ça du tout. Je n’avais ni atelier ni argent alors je me suis inscris à l’école des Beaux-Arts. J’avais à la même période déjà commencé à voyager à travers l’Amérique en auto-stop. Je partais avec 25-50 piasses dans mes poches, je passais trois semaines à un mois sur la route, l’hiver en plus et je me disais que si à 20 ans - 25 ans je ne pouvais pas me démerder, qu’est-ce que je ferais à 50 ans? (4). J’ai parcouru toute l’Amérique (110 milles miles) et j’y ai visité les usines dans chaque ville ainsi que tous les musées, et j’étais scandalisé, entre autres de constater le traitement injuste face aux Noirs d’Amérique… ainsi que celui appliqué par les Blancs aux Indiens (5).

 

La sculpture est une partie de ma vie 

C’est une façon de sentir, c’est une façon de rester debout. J’ai besoin de la sculpture pour m’exprimer, comme un autre a besoin d’une femme pour vivre avec lui, un autre aura besoin d’argent pour manger à tous les jours, moi, pour nourriture intellectuelle, afin de continuer à rester ferme dans ma pensée et pour ne pas me perdre dans mon existence, j’ai besoin de cette orientation qui est mon art. C’est personnel à moi, je ne force personne à approuver mon travail ou à l’accepter mais je crois avoir assez d’énergie pour arriver à me définir dans mon travail, dans ma sculpture, et j’ai aussi la volonté de me battre pour exprimer cette pensée, car je crois en ce que je fais (6). Ce n'est pas par hasard que j'ai choisi le métier de sculpteur.  C'était pour marquer mon époque à ma façon.  Je l'ai fait par la parole, le geste, par mon engagement sans équivoque pour la vie, pour l'amour de mes semblables (7).

 

Les matériaux avec lesquels je travaille (8)

Ce qui nous entoure, ce que la planète contient, l’air, l’eau, le vent, les plantes, les déserts, les forces volcaniques, la lave, la matière créée par l’homme, le béton, les aciers, le bronze, l’acier inoxydable, les matières périssables, comme le boire, la glace, les bulles. Les matières non palpable, le bruit d’un glas, les cloches, la senteur d’une poubelle vieille dans une ruelle, un jardin de pétales de roses, les odeurs humaines agréables et désagréables, le toucher, la matière que l’on dit inerte, les températures du chaud au froid glacé de ces milliers de sons et d’odeurs du centre-ville, silences chargés d’émotion d’un éveil la nuit.

On est constamment on est toujours habité par des milliers de chocs de courants électriques qui nous transpercent l’âme et le centre nerveux, comme on reçoit une bonne nouvelle on reçoit une mauvaise nouvelle on ne reçoit pas la nouvelle que l’on croyait recevoir. On voudrait voir des choses se réaliser à l’échelle de la planète. Les immenses frustrations que l’on reçoit à partir de nouvelles qui nous arrivent, des nouvelles internationales ou nationales. J’ai toujours dit à beaucoup de monde que je n’ai rien à redire sur la température qu’il fait ou qu’il fera, mais j’ai beaucoup à redire, par exemple sur l’effet que cette année en 1985, qu’il se dépense pour l’armement mondial une somme phénoménal de 1500 milliards de dollars pour la destruction de la planète alors que ce même budget pourrait servir à équilibrer à pallier  à tous les besoins de tous les habitants de la terre. Voilà la matière de mes sculptures, voilà les matériaux avec lesquels je travaille.

 

Ma vie comme performance (8)

Pour moi, la performance est un état de vie. Je pourrais raconter des centaines d’événements qui remontent à mon enfance, tout simplement pour dire l’appétit que j’ai dans mon travail quotidien pour le côté théâtral, le côté spontané aussi, aspect qui est peu reconnu dans les arts visuels mais que la performance exploite. Je travaille en public depuis des années. Je pourrais même dire que j’ai toujours travaillé en public. « L’arbre de la rue Durocher », en 1953-54, a été réalisé dans la rue. J’ai aussi beaucoup manifesté publiquement surtout pour défendre des causes ou pour des batailles politiques : à Chicoutimi en 1959 pour le « Monument contre la guerre », à Asbestos en 1963-64 pour « L’Humain ».

 

Mon engagement social et politique

Comment rester indifférent, dans la chaleur de nos foyers, bien assis devant le téléviseur, à regarder les horreurs qui se déroulent à travers le monde sous nos yeux ?  Comment peut-on encore prôner l'art pour l'art, sans se préoccuper du bonheur des uns qui engendre le malheur des autres? (7). Mon œuvre représente la justice, la révolte, un engagement  à la vie et la mort pour la libération de tous les peuples opprimés de la terre. Nous sommes tous responsables de ce qui se passe à travers le monde…et ma responsabilité en tant qu’être humain est d’être une arme de libération: je suis un guerrier de la paix (9). J’ai voulu que mon travail soit comme une arme de revendication: c’est comme la révolution en marche ma sculpture…et moi je me suis toujours considéré comme un prisonnier politique. (2) Je m'associe aux prisonnières de par le monde, qui luttent, vivent et meurent pour la justice, l'égalité, la tolérance et la liberté (7).

J’ai toujours fait une distinction très forte entre l’artiste tout court avec un grand A et l’artiste humain, l’homme ou la femme engagée vis-à-vis lui même et vis-à-vis ses semblables. L’art a un rôle important à jouer dans la collectivité, la société, et l’artiste conscient de ce rôle doit remplir allègrement son rôle quoiqu’il arrive à l’intérieur de sa vie personnelle ou de son travail. (1) Je commence là où les gens arrêtent, et je conseille au gens de ne jamais s’arrêter là où l’on nous demande d’arrêter. Pour aller plus loin on fait des découvertes, pour faire des découvertes il faut risquer, et je pense que c’est ce qu’on appelle la vie. (2) C’est plus facile de marcher debout qu’à quatre pattes, t’as plus de chances de te rendre plus loin. Étant donné que j’ai fait mon choix il y a longtemps qui n’est pas la reconnaissance en tant qu’artiste que j’allais embrasser mais plutôt se battre pour la liberté, celle des autres et peut-être la tienne des fois. (10)

Les gens voudraient que l’art moderne soit compris par tout le monde...mais on ne leur a jamais donné la chance de comprendre la simplicité de la créativité, de dire une chose comme on la ressent dans toute sa vérité, sa noblesse, sa pureté, sa vulgarité aussi à l’occasion…L’art ça peut crier la haine, ça peut crier la vie, ça peut représenter l’horreur, ça peut aussi dicter un chemin pour l’humanité pour les temps à venir…on a besoin de l’art car plus on va s’en éloigner, plus on va faire un désastre de notre planète, et possiblement la détruire complètement. (7) S’il est vrai que les idées mènent le monde, il est aussi vrai pour l’artiste que toutes ses études, ses rêves, ses projets, ses propositions, même s’il sait qu’il n’aura jamais la chance de les réaliser dans les formats qu’il voudrait voir, il doit, malgré toutes les embûches, malgré toutes les difficultés qui l’entourent, il a un devoir primordial, celui de dire la vérité, sa vérité, cette vérité qui l’habite. Sans jury de quelque acabit qu’il soit. (8)

 

 

Partager la créativité avec les jeunes

Je parcours depuis plus de 50 ans les universités, les collèges, les cégeps, les écoles primaires et secondaire pour donner une partie de moi-même et recevoir davantage en retour. Il faut bénir ces enfants qui nous redonnent la vie. Quoi de plus exaltant, de plus merveilleux que de voir s’éveiller, s’épanouir ces jeunes cerveaux, ils ont tout pour nous séduire. Les enfants doivent être protégés, stimulés, encouragés par tous les moyens possibles. (11)

Bien démarrer dans la vie, être informé et éclairé sur différents sujets, différentes avenues est très important. Les adultes et les enfants demandent qu’on leur fasse confiance pour exprimer ce qu’ils ont de meilleur à l’intérieur d’eux-mêmes. Cette confiance, réciproquement donnée, établit un état de rencontre fructifiant et bouleversant. La vie, comme l’art, doit être une célébration, une grande fête en perpétuelle mutation. (12)

 

Mes rêves seraient…

D’agir au sein d’une société qui produit un bien nécessaire, essentiel à la collectivité. Des idées qui font réfléchir. La forme que peut prendre ton art n’est que le prétexte à charrier les idées. L’image qui en ressort peut inciter les gens à l’éveil, à la révolte et l’art devient une arme de combat contre l’indifférence, la monotonie, l’injustice, contre la pauvreté, contre les rapports riches/pauvres. Ma démarche est celle-là. Si tout va mal, mes rapports avec la société vont mal. Si tout va bien, ma démarche intérieure va de très bien à excellent. (1)

Que l’être universel puisse s’abreuver généreusement, se mêler à la collectivité, bien digérer, prendre le temps de bien digérer toutes ses connaissances qu’elles soient du savoir technologique, bureaucratique, politique et des différentes tendances, s’ouvrir par la connaissance à tous les aspects qui l’entourent, de près ou de loin… et surtout être militant par la pratique et qui lorsque entièrement éveillé à tous les contrastes, il pourra reconnaître la crapule d’un être véritable, et d’un regard voir l’opprimé et l’oppresseur. (1)

Ce que je veux laisser en héritage, c’est l’envie pour d’autres personnes que moi, d’agir en conséquence et d’arrêter de penser en signe de piastres car les vraies valeurs ne sont pas là. (10)

 

Légende des citations

  1. Manifeste d’Armand Vaillancourt concernant sa démarche artistique, 1984
  2. L’Univers d’Armand Vaillancourt (Radio-Québec). Jean-Gaetan Séguin, 1985
  3. Juré craché (Radio-Canada). Winston McQuade, 1995
  4. Baie St-Paul, 2010
  5. L’œuvre d’Armand Vaillancourt : inestimable ! Guy Sioui Durand, 2010
  6. Bozart (ONF). Jacques Giraldeau, 1968
  7. Manifeste d’Armand Vaillancourt à la remise des prix PEB, 1993
  8. Manifeste d’AV : La performance est un état de vie. Robert Myre, 1989
  9. Entrevue radio (CKAC) Rue Crescent, 1989
  10. Artisans de l’histoire. Canal Historia, 2000
  11. Réflexions d’Armand Vaillancourt, 2005
  12. Célébrer la vie : rencontre à la maison des jeunes de Longueuil, 1990